La Charité
Étude d'une des 3 vertus théologales par la soeur Marie C.
La Charité et le monde des Hommes
Venant du latin caritas, caritatis qui signifie la cherté, l’affection, l’amour, pour le profane, la charité est la qualité qui porte à désirer et à faire le bien d’autrui. La charité est aussi considérée comme l’Amour de son prochain.
Dans la langue française, si on évoque la charité, les gens vous parlent de demander/faire la charité, de vente/œuvre de charité, de faire une action/acte de charité, mais ils vous parlent également des proverbes : charité bien ordonnée commence par soi-même, c’est l’hôpital qui se moque de la charité.
En France, il existe des lieux portant le nom de Charité, en particulier :
- différents hôpitaux de Paris,
- pour les Marseillais, l’incontournable “Vieille Charité”, édifiée au 17e siècle sur les plans de Pierre Puget, avait pour objectif initial d’abriter les indigents et les pauvres suite à l’édit royal sur l’enfermement des pauvres et mendiants. Le conseil de la ville décida d’ériger un lieu pour cet accueil, l’œuvre Notre Dame de la Charité fut créé en 1622 et un terrain mis à disposition mais il fallut attendre1654 pour que les dirigeants envisagent de construire un bâtiment approprié aux besoins et c’est celui de Pierre Puget qui fut retenu en 1671. Les travaux se terminèrent en 1745 sous la conduite de son fils, François Puget.
En 1589, Henri III fonda l’ordre de la Charité pour récompenser les militaires blessés au service de l’État.
Mes recherches m’ont également permis d’identifier plusieurs corporations portant le nom de la charité. Par exemple:
- Plusieurs congrégations religieuses de femmes portant le nom de Sœurs de la Charité : une fondée en 1652 à Nancy après la guerre de 30 ans, en 1685 à Nevers pour faire face à la misère due aux guerres et impôts de Louis XIV.
- les Filles de la Charité, initialement appelée les Gardes des Pauvres, qui est la confrérie la plus connue, fondée en 1633, par Saint Vincent de Paul prêtre catholique français au service de Marguerite de Navarre, elle-même épouse du roi Henri IV. Cette confrérie perdure encore de nos jours puisque le siège est installé à Paris.
- les Fils de la Charité, fondée en 1918 par le père Anizan dont la création est probablement liée à la 1e guerre mondiale.
De ces quelques éléments, il apparaît clairement que la charité est intimement liée à la culture chrétienne.
L'Amour de Dieu
Dans la culture chrétienne, la charité c’est l’amour de Dieu, pour lui-même et pour son prochain. Elle appartient à une série de vertus classiques de la culture chrétienne que sont les vertus théologales de Foi, d’Espérance et de Charité, la Foi et l’espérance étant le sujet du travail de notre Frère François.
Pour Nietzsche, la vertu “c’est la qualité de se mettre tout entier dans un acte sans retenue”. Si on s’intéresse à l’étymologie des mots virtus et theologia, les vertus théologales peuvent être définies comme des forces d’âme ayant Dieu pour objet ou comme des dispositions spirituelles à agir avec persévérance en accord avec la loi divine. Les vertus théologales sont données par le Grand Architecte de l’Univers par sa grâce, elles sont infuses et surnaturelles. Elles sont à distinguer des vertus cardinales que sont la justice, la force, la prudence et la tempérance, et qui sont considérées comme des vertus morales et naturelles qui se fondent sur la nature de l’homme et qui se perfectionnent par un exercice constant.
Dans le 1er épitre de Jean, il est écrit que « dieu est amour » : c’est l’essence même du Grand Architecte de l’Univers et cet amour est tout entier un don de soi, c’est un amour absolu infini. Il aime les humains tels qu’ils sont, non parce qu’ils sont aimables mais parce qu’il est dans sa nature d’aimer. Cela signifie également que celui qui est né du Grand Architecte de l’Univers porte par essence les caractères de son père parce que « l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous a été donné ».
Ceci m’amène à penser que la charité c’est l’amour de tout le monde, de tout ce qui est. C’est aimer l’existant, c’est aimer le fait d’être, c’est aimer l’être tel que nous l’offrent nos sens, tel que le comprend notre esprit et tel que le porte notre cœur. Par charité, il faut comprendre l’amour du prochain, de ce qu’il est, de ce qu’il fait, ce qu’il croit. Mais est-ce si simple d’être charitable et d’aimer tout le monde sans comprendre et sans connaitre? Nous y reviendrons plus tard.
Intéressons-nous maintenant à la place de la charité dans la franc-maçonnerie.
La charité dans la franc-maçonnerie
Bijou d'Aumônier
Dans le dictionnaire “Masonic Enquire Within”, la charité est définie comme le fait de penser et d’agir pour les autres avec considération, amour et volonté de bien faire.
Il est également fait référence à la charité dans le tableau ou planche tracée du 1er grade, parmi l’ensemble des autres éléments. L’échelle de Jacob, sujet du travail de notre sœur Béatrice-Marie dans quelques semaines, représente le moyen de parvenir vers la voute céleste, où chaque échelon représente les nombreuses vertus morales dont les principales sont les 3 vertus théologales: la Foi, l'Espérance et la Charité. La Foi dans le Grand Architecte de l'Univers, l'Espérance dans le salut et la Charité envers tous nos semblables. Elle rejoint les cieux et repose sur le Volume de la Loi Sacrée, car les doctrines contenues dans ce Livre Saint nous enseignent à croire aux sages préceptes de la Divine Providence. Cette croyance fortifie notre Foi et nous permet d'atteindre le premier degré. Cette Foi crée naturellement, en nous un espoir de participer aux promesses divines contenues dans ce Livre Sacré. Cette espérance nous permet de gravir le second degré, mais le troisième, et le dernier, étant la Charité, renferme le tout, et le Franc-Maçon qui possède cette vertu dans son sens le plus vaste, peut être considéré à juste titre, comme ayant atteint le sommet de sa profession spirituelle.
Paul, dans l’épître aux Corinthiens dit “Or maintenant, 3 choses demeurent, la foi l’espérance et l’Amour; mais c’est l’Amour qui est le plus grand”.
Selon les tableaux, l’allégorie de la Charité est celle d'une jeune femme allaitant un nourrisson ou une coupe. Dans le tableau choisi par notre loge, le modèle classique de John Harris de 1825, la charité est représentée par la coupe mais elle est positionnée en bas de l’échelle et non comme le 3e et dernier. Et j’avoue toujours m’interroger sur ce point.
L’apprenti entré est mis à l’épreuve en étant invité à pratiquer cette vertu.
Dans la seconde partie des instructions par question/réponse, il est également évoqué une réflexion sur l'état de pauvreté et le rapport à l'autre.
Au travers de ce serment, il apparaît clair qu’il n’est pas possible de parler de charité dans la FM sans évoquer la bienfaisance, c’est à dire la réalisation d’actes de bonté à l’égard d’autrui pour sa sauvegarde ou son bonheur. Les FM se sont toujours intéressés à la bienfaisance et c’est même sous cette apparence que la FM anglo-saxonne est la plus connue pour les profanes.
Dans chaque loge, à l’issue de chaque tenue, circule le tronc de bienfaisance également appelé tronc hospitalier qui symbolise la charité. Il circule parmi l’assistance lors des Travaux ou au banquet, décision laissée à l’appréciation du VM. Ce tronc a pour but de récolter les oboles afin d’alimenter les œuvres de charité de la loge ou des obédiences. Il servait aux origines de la FM à rassembler les dons pour les familles des maçons, tailleurs de pierre et charpentiers accidentés sur les chantiers.
Le représentant de la charité dans la loge est le frère Aumônier. Dans les constitutions, il n’existe aucune trace de l’office du frère Aumônier jusqu’en 1910. Le bijou symbolique de l’Aumônier est une aumônière, un porte-monnaie orné d’un cœur qui traduit les notions de bienfaisance mais aussi d’amour, de gentillesse dictant la charité des frères et son propre regard sur ceux qui reçoivent la charité.
Selon les rites, l’aumônier peut être appelé hospitalier ou éléémosynaire. L’hospitalier sous-entend les soins donnés aux malades, le réconfort aux maçons dans la peine tandis que le nom éléémosynaire tire son origine de la langue grecque “eleemosyna” qui signifie aumône, argent.
L’Aumônier a par définition plutôt un rôle d’attachement à un corps ou à un établissement pour y assurer le service religieux et l'instruction religieuse tandis que l’hospitalier va avoir le rôle de recueillir, abriter, nourrir les voyageurs, les indigents, etc. L’hospitalier sera donc le représentant en externe de la loge et l’aumônier en interne de la loge.
Le rôle du frère Aumônier est double, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la loge. Sa fonction ne se réduit pas à gérer le tronc de bienfaisance, en faisant des prêts et des dons avec l’accord du VM à des frères et sœurs, associations ou veuves. Il n’assure pas uniquement un rôle de solidarité au sens administratif du terme, comme un droit ou un devoir associé à un office. Son rôle est aussi d’apporter le soulagement aux frères et sœurs infortunés, il se soucie des absences (excusées ou non), prend contact avec les frères et sœurs absents pour savoir ce qui se passe. Il participe et s’associe aux joies et aux peines des membres de la loge. Il doit apporter encouragement et réconfort fraternel à tous et si besoin avec l’accord du VM secourir matériellement les frères et sœurs dans le besoin.
Son rôle est délicat car il doit apporter son soutien dans les moments difficiles et doit être la personnification de la fraternité et de l’entraide maçonnique. C’est à lui de mettre en pratique plus que tout autre maçon de la loge la fraternité et la charité. Sa fonction est tout en nuance, pleine de subtilité, de tact, de discrétion et d’efficacité. Il représente le cœur rayonnant de la loge. Il montre par sa fonction la dépendance entre les membres de la loge.
L’office d’Aumônier est en général assuré par un ancien VM, un PM expérimenté, puisqu’il gère les demandes d’aide. Il est nécessaire d’avoir une grande expérience pour décider si le cas est digne de soutien pour utiliser les dons de la loge, pour comprendre et pardonner les erreurs et errements, pour faire la différence entre ennui passager et situation qui s’installe.
Charité ou solidarité ?
Au départ de ce travail, comme je l’exprimais, j’ai éprouvé beaucoup de difficultés pour poser les mots et les idées que cela pouvait m’inspirer, mais j’aimerais partager avec vous quelques éléments de réflexions.
La charité dans son sens premier veut dire l’amour, la cherté, l’affection. Cela n’a aucun rapport avec la chrétienté même si elle est ensuite devenue une vertu théologale. La difficulté c’est qu’aujourd’hui la charité est considérée comme souvent liée à la pratique de la religion, ce qui est peu adaptée dans le contexte d’une société contemporaine plutôt laïque. Elle en devient même à être utilisée avec une connotation péjorative pour être remplacée par des notions jugées plus neutres comme la solidarité.
La solidarité est une notion qui apparait au 19e siècle (vers 1840) par Pierre Leroux qui cherche à construire un équivalent laïque à la charité. Pierre Leroux est un éditeur Français. Promis à de grandes études et à une entrée à l’Ecole Polytechnique, suite au décès de son père, pour subvenir aux besoins de sa famille, il deviendra maçon puis typographe avant de fonder le journal « Le Globe ». Il deviendra par la suite un homme politique et il sera un des théoriciens du socialisme républicain, c’est-à-dire le principe de faire toute sa place à la liberté tout en prenant l’idéal d’égalité dans le sens social. Il fut initié Franc-Macon à Limoges en 1848 à la « Loge des Artistes Réunis » au Grand Orient de France. Selon lui, la charité implique une dissymétrie de rapports entre donateur et donataire tandis que la solidarité implique des citoyens libres et égaux socialement.
L’évêque de Versailles Mgr Gibier dira au début du 20e siècle que la solidarité est une charité débaptisée. La solidarité est ensuite devenue un concept moral et politique (principe de solidarisme).
La solidarité est aujourd’hui un terme invoqué partout. Les pouvoirs prétendent agir pour elle et les plaintifs utilisent son nom sans limite. Tout le monde s’enthousiasme pour réclamer la solidarité, elle est même vue comme un droit et la bienfaisance comme un devoir mais peu s’intéressent encore à la charité.
Il me semble que la solidarité est une part de la charité, elle est la fusion des responsabilités individuelles des éléments d’un groupe en une responsabilité collective. C’est le lien horizontal entre les hommes. La solidarité n’est pas une fin de l’action, mais un moyen de parvenir à ses fins, pour réaliser des actes vertueux mais à l’inverse pour réaliser des actes malveillants. La charité est l’acte d’aider son prochain, elle existe aussi sur le plan de la morale. C’est un amour vertical transcendant fondant tout en amour.
Faire la charité, cela signifie se comporter de façon bienfaisante et même si cela peut passer par donner de l’argent à plus pauvre que soi, être charitable c’est d’abord donner de l’amour, de l’affection à son prochain. Dans ce cas, il n’y a aucune dissymétrie de rapport entre les Hommes, nous sommes tous égaux. Il existe beaucoup de personnes qui utilisent la bienfaisance et leur don pour se parer d’une pseudo-charité sans être capable de donner de l’amour, de l’affection ou sans attendre un retour.
Pierre LEROUX
L'autre et soi
Malgré cela, je veux croire très naïvement je le conçois que, par nature, chaque être humain, chacun d’entre nous est capable de charité donc d’aimer un étranger. Mais aimer un étranger comme soi-même implique de s’aimer soi-même car la charité c’est accepter dans son intégralité l’autre tel qu’il est tout en ne cédant rien de soi. Ne dit-on pas comme justement “charité bien ordonnée commence par soi-même”? Comment peut-on aimer l’autre dans son intégralité sans s’aimer soi-même dans sa propre intégralité. Ce n’est pas de l’égoïsme c’est de l’Amour propre, de la charité envers soi-même. Ce n’est que l’Homme au sens l’être humain en paix avec lui-même qui se comprend, ne se juge pas, se pardonne avec clairvoyance et courage qui s’aime qui peut être capable des mêmes capacités vers autrui.
On peut être charitable, empli de bonté, altruiste et dire non pour faire preuve de charité sans se nuire. On peut faire preuve de clémence, d’indulgence, de miséricorde mais il faut commencer par s’accorder tout cela à soi-même car charité bien ordonnée commence par soi-même. Et qu’elle commence par soi-même ne signifie pas qu’elle s’arrête à soi-même. Au contraire, si elle est bien ordonnée elle doit me conduire au-delà de moi-même.
Ouverture
Dans son travail sur le Serment, notre sœur Morgane s’interrogeait sur le fait de devenir à un moment donné un bon franc-maçon. Etre un bon maçon cela signifie alors faire preuve de charité dans la loge mais également dans la vie quotidienne, personnelle et professionnelle. La charité n’est pas quelque chose qui s’établit dans le temps, c’est une action pour aider une personne à sortir de sa situation. Platon dit que la vertu est d’essence divine «ce n’est pas une chose qui s’enseigne, ni de l’intelligence... pourtant elle est un bien qui nous guide de façon utile et droite». La charité doit permettre aux gens de remettre les valeurs essentielles au centre de leur vie comme le respect, la force, la justice. Le but de la charité c’est d’aider l’autre à retrouver sa place dans la société selon l’équerre et le niveau, de les aider à retrouver leur rectitude, de se mettre à l’équerre, de retrouver une place droite dans la société. Et c’est cela qu’en tant que maçon nous pouvons être charitable au quotidien.
Je ne suis pas sure qu’il soit facilement atteignable car être dans la charité au quotidien n’est pas le plus simple des objectifs. Je ne sais pas si un jour je serais un bon maçon mais à partir du moment où je travaille au quotidien à l’être, à me demander si mes actes et mes paroles sont charitables, n’est-ce pas finalement plus important ? On peut être de nature charitable mais il est compliqué de faire preuve de charité à certains moments de notre vie, avec certaines personnes, ou de continuer à l’être après que certains en abusent... Si tout être humain est par définition doué de charité, certains êtres humains sont doués d’un sens de la charité plus développé et à l’inverse, d’autres l’ont perdu et je me demande comment nous avons pu arriver à cela.
Je terminerais par cette citation d’Henry de Montherlant, écrivain, académicien français du début du 20e siècle, passionné de l’Antiquité, accusé de collaboration, et ayant rejoint la Croix Rouge après la 2e guerre mondiale, il exprime cette idée: « Ce qu’il y a de plus difficile dans la charité, c’est qu’il faut continuer ».
Pour aller plus loin, nous vous recommandons la lecture des "Lettres Hospitalières" de la R.L. d'Etude Hospitalière La Céleste Amitié :